Du livre au grand écran, décryptage de Cinquante nuances de Grey, le phénomène médiatique ayant incidemment défrayé les chroniques. Pourquoi le roman plutôt moderne, Cinquante nuances de Grey, écrit par la Britannique E.L. James, suscite-t-il autant de passions à tout niveau social malgré la prolifération de livres surfant allègrement sur la tendance porno-chic ?
Tout d’abord parce que, pour la toute première fois, une femme ose mettre au grand jour un contenu hautement sensible autour du sexe, notamment sous ses aspects sadomasochistes… Si le fait de parler du sexe n’est plus véritablement tabou, afficher des tendances dites BSM comporte encore un sacré défi au sein de nos sociétés modernes basées sur une moralité judéo-chrétienne sous-jacente, à maints égards. la plupart du temps, ces choses-là se vivent plus qu’elles ne se disent, dans l’intimité de ceux qui y ont recours.
A la lueur de notre enquête sur ce phénomène social, il s’avère que les critiques concernant cet ouvrage incendiaire sont très mitigés. Elles vont des plus belles louanges aux pires désaveux. Ceux qui ne jurent plus que par cette trilogie se disent absolument captivés autant par l’intrigue que par les personnages. Les femmes, qui constituent la majeure partie du lectorat de E. L. James, déclarent être tombées sous le charme de Christian Grey, qu’elles décrivent comme étant un personnage absolument irrésistible, doublé d’un amant hors pair. Ceux qui décrient cette histoire de façon véhémente avancent la piètre qualité de l’écrit qui n’aurait rien d’un véritable ouvrage littéraire, selon eux, et déplorent une intrigue mal ficelée ainsi que des invraisemblances trop criardes.
Toutefois, en nous penchant davantage sur le contenu de cet ouvrage, tout en tenant compte des remarques de ceux qui l’ont largement adopté, nous n’avons pu nous empêcher de nous poser 3 questions essentielles :
1) Pourquoi est-ce que cet ouvrage basé sur des pratiques BSM attire-t-il autant le public féminin, nonobstant la nature ambiguë de la relation qui se noue entre les deux protagonistes ?
2) Quel est le secret de l’auteure pour en arriver à un tel succès, malgré tant de passions déchaînées autour de ce roman ?
3) Quelle en est la véritable portée ?
Sous l’éclairage des éléments ressortant de cette investigation, nous ne pouvons que reconnaître le génie de l’auteure E. L. James. La romancière a savamment réuni dans sa trilogie les ingrédients d’une histoire qui ne peut qu’émouvoir la gente féminine dans une large mesure. Ne l’oublions pas, cet écrivain est également une femme et, en tant que telle, elle sait l’essentiel en ce qui concerne le cœur de la FEMME, c’est à dire que la femme est une sentimentale universelle. Elle inscrit donc une histoire d’amour au cœur d’une intrigue sombre, tout en tenant compte de cette réalité. La part de l’ombre du personnage C. Grey se trouve ainsi contrebalancée par sa personnalité séduisante et par son histoire personnelle triste, qui ne peut laisser de marbre un être sensible.
Effectivement, bien qu’étant milliardaire, Christian Grey sait ce qu’est la véritable misère pour l’avoir endurée. Une enfance douloureuse, une mère prostituée, sous la coupe d’un mac … choses affligeantes qui n’ont pu que laisser des traces indélébiles dans l’esprit de cet homme aux allures pourtant charmantes. Le héros du roman connaît donc bien les labyrinthes sombres d’une vie de galère, même s’il a finalement grimpé jusqu’au rang des quelques-uns que beaucoup admirent et envient pour leur fortune, leur prestance. Néanmoins, même parvenu à ce stade, l’homme doit se battre continuellement pour pouvoir y rester, car si atteindre les sommets est une chose, s’y maintenir en est une autre. Or, quel est le pire cauchemar de ceux qui parviennent à atteindre l’opulence après tant de lourds sacrifices ? Eh bien, il s’agit ni plus ni moins que de l’idée de retomber un jour dans l’indigence pour y tutoyer à nouveau les maux et autres corollaires qui en fondent les soubassements. Cette seule appréhension suffit donc à soumettre à une sorte de tension quasi permanente ceux qui, tel C. Grey, en font l’expérience. Etat de stress insupportable au quotidien et qui nécessite de puissants palliatifs pour pouvoir s’y soustraire de façon acceptable sur la durée. Palliatifs que Monsieur Grey semble avoir trouvé dans l’assouvissement de ses pulsions sexuelles des plus exigeantes, à travers des pratiques que d’aucuns qualifieraient comme étant déviantes.
Pour autant, le génie de E. L. James réside dans sa capacité à tenir compte du fait que tout être empathique, notamment ceux du sexe féminin, éprouve la forte envie de vouloir sauver de la déchéance les personnes envers qui il ressent de l’affection. Ce, d’autant plus que celles-ci sont perçues comme étant victimes d’un sort injuste qui mériterait réparation. Et, comme aimer jusqu’au bout, quoi qu’il lui en coûte, demeure le plus beau, le plus grand challenge de la FEMME, en général, quel meilleur remède que l’amour au mal qui ronge l’être aimé. L’héroïne Anastasia Steel n’échappera guère à cette loi universelle et le large lectorat féminin de E. L. James non plus.
Qu’importe qu’elle puisse y perdre son âme, la Femme sacrifiera tout pour que triomphe l’amour Roi. Certitude sur laquelle s’est basée l’auteure de cette romance sous haut voltage en associant les ingrédients majeurs contribuant à faire de sa trilogie un authentique best-seller. Elle joue également sur un autre registre non négligeable, à savoir celui du raffinement que permet l’aisance matérielle. Ce qui confère un côté chic à cette histoire qui aurait pu basculer dans le sordide des plus répugnants.
Non, il ne s’agit pas que d’une histoire choquante tournant autour du sexe, pouvons-nous en conclure au regard de cette analyse en marge des innombrables critiques qui prévalent autour de cet ouvrage. L’auteure E. L. James brosse tout autant un tableau social précis, à la lumière d’une thématique sensible, sous un angle particulier, tout en n’omettant rien des tenants et des aboutissants qui la sous-tendent. Ce faisant, c’est la société elle-même qu’elle interroge, en lui offrant d’une certaine manière, à travers cette intrigue, le miroir dérangeant qui lui montre ses propres reflets. C’est en somme le diagnostic d’un monde qui porte en son sein les syndromes mêmes des effets symptomatiques qu’il feint de méconnaître.
Tout traumatisme en appelle à une thérapeutique agissante, quelle qu’en soit la nature, comme toute action curative impose au préalable un diagnostic précis. Et, parce que l’ombre et la lumière se disputent depuis toujours la part belle en chacun de nous, nul ne peut se targuer vraiment d’être un saint. Éros brave souvent Thanatos en chaque être humain, et vice versa, ce que souligne ce roman à sa façon. L’auteure des Cinquante nuances de Grey n’est donc en rien blâmable ni haïssable lorsqu’elle elle joue sur la fascination qu’inspire un être aussi troublant que Christian Grey sur le commun des mortels. A la lueur de cette analyse, cette histoire nous invite à une découverte qui va bien au-delà des seuls éléments de nature sexuelle l’ayant fait sortir du lot, autant qu’ils l’ont exposée aux huées de ceux qui en contestent le bien fondé.
Toujours est-il que le succès phénoménal de ce roman, publié en France chez J-C Latès, se traduit par l’engouement que rencontre son adaptation au cinéma. La sortie du film, du même nom que le livre a été prévue en France pour le 14 février, jour de la Saint-Valentin. Le fait que les premières projections publiques soient programmées pour le jour même de la fête des amoureux n’a rien d’anodin, même si ce détail important porte les insignes d’une influente machinerie commerciale.
Je remercie sincèrement toutes les personnes qui ont lu cet ouvrage et qui m’ont aimablement donné leur avis à ce propos.
NB: le 2ème épisode de cette trilogie, Cinquante nuances plus sombres, sort demain au cinéma.
Sources :